Je suis un champ de mines. La dernière fois que j’ai pu songer à cette idée, j’ai dérivé — comme souvent. Du champ de mines, je suis passée à d’autres considérations — alors que c’est bien de mines qu’il s’agit.
C’est une drôle d’images, qui récupère peut-être la violence que vivent vraiment d’autres gens, dans leur chair. Je suis très sincèrement désolée pour eux. C’est la seule qui me vienne.
Un champ de mines, c’est comme cela que je me vois, physiquement et, le plus souvent, mentalement. Un champ de mines : tu ne sais pas où elles sont, mais la menace de l’explosion est omniprésente. On apprend, petit à petit, à les connaître, ces mines, parfois à les déminer — parfois, cela ne marche pas. Les mines, ce sont comme de vieilles peines qui sont encore là, les clous du cercueil que l’on voit, doucement, enfoncés, pendant que le marteau assourdit — et ma grand-mère qui pleure dans mes bras, une vie qu’on enterre — ce sont les clous imaginaires de mes peines passées qui remontent et m’explosent à la gueule.
Parler de peines ou de chagrins, c’est une bien jolie façon de raconter les trous que forent l’horreur que l’on peut frôler, quand on est une jeune fille — pourrai-je un jour m’empêcher de me raccrocher à ces pauvres artifices verbaux ? Ce sont des mots, pourtant, lourds de sens, comme la mélancolie à laquelle j’ai pu donner un nom et une forme, Madame D., qui, bientôt, prendra peut-être vie dans le fracas des colères insues.
Les peines et les chagrins, une bien jolie façon de parler de la douleur qu’on traîne en soi, un foutu fardeau que l’on tire et que l’on traîne, et surtout un fardeau piégé : qui peut savoir ce que contient ce lourd sac de sport ?
Comme bien souvent, je me rappelle les vers de Phèdre :
- Quel fruit espères-tu de tant de violence ?
- Tu frémiras d’horreur si je romps le silence.