Longtemps j’ai voulu éviter les heurts. Sur les trottoirs, alors que la foule me bousculait, je m’excusais d’avoir été poussée: ma présence se faisait spectrale, ma marche acrobatique, et je revenais parfois à un équilibre précaire. Les déambulations me rappelaient quelque chose d’une inexistence, car je voyais bien que l’on ne me voyait pas, et que j’étais décidément fille de vitrière. La lecture me montra ce qu’avait de collectif cette répartition du trottoir, et de systématique la descente aux caniveaux de celles à qui l’on racontait qu’elles étaient les grandes bénéficiaires d’une générale galanterie.
La décision fut prise: tête haute, sac à main à la main et regard lointain: je cessai de me défiler – et d’autres s’écartèrent. Ma taille m’aidait, et l’entraînement fut âpre: la bataille du trottoir commençait.
Je ne me fis pas Attila: c’étaient les marcheurs du milieu qui recevaient mon épaule, les encombreurs aux bras ballants, les faux étourdis. Les grand-mères zigzagantes, les chargés de courses, les enfants en hordes gardaient mon indulgence – et quelques pénibles purent continuer leur route aveugle.
C’était un jour de pluie quand, sortant d’une librairie, je poursuivis mon chemin rue des Martyrs, qu’il croisa celui de ce prétendu doubleur de vieilles dames: je n’attendis pas, je ne pensais rien, et mon épaule força le passage qui était le mien. Qu’avais-je fait ? Le malotru se révéla pour ce qu’il était: il fit demi-tour pour me pousser, tous bras tendus, dans le dos, en m’insultant.
Cafouillage devant les primeurs ! pas content que je lui réponde, vas-y qu’il me tutoie et me menace de me frapper – ne l’avait-il déjà fait ?
Et devant les courgettes, j’entends, ô suprême outrage ! que je ne dois pas bouger pour me faire tabasser. Devinez ce qui se passa ? C’e fut lui qui s’enfuya.
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