Leur fête.

Ça aurait été sa fête, comme celle de tous les pères. Petite, S. avait adoré ces rituels de l’enfance, les gamineries offertes et minaudées, son papa comme un unique qu’elle adorait adorer, même s’il lui faisait un peu peur. Ça restait un moment qu’elle célébrait, comme les autres mômes, avec ses offrandes, dont le premier but était certainement de la faire remarquer elle, la petite fille, d’un père dont elle espérait l’amour.

Ça avait un autre goût, maintenant. Bien sûr, la fête des mères était devenue, comme dans d’autres siècles, le moment d’une célébration quasi gynécologique d’utérus toujours fonctionnels, d’une médecine reproductive officiellement en pointe, plus sûrement imposée et de la fonction multi-tâches qui semblait fournie avec la maternité. La fête des Pères, c’était une nouveauté, venue par la grâce et la volonté présidentielles, et celle qui avait pris le dessus de tout. C’était peut-être parce qu’il n’y avait plus d’enfants qu’on se rabattait sur les vieux, se dit S., parce que le pouvoir des hommes était depuis toujours si quotidien qu’il avait dû sembler inutile d’en tirer un jour comme une exception.

S. gardait dans la bouche un goût de cendres. Elle n’avait jamais aimé ces grandiloquences, qui lui paraissaient toujours plus indécentes à mesure que la ville se fragmentait en ruines. C’était la première fois que la fête des Pères survenait depuis que son père s’était effacé. Elle n’aurait plus fait de collier de nouilles[1], tout juste passé un coup de fil et rigolé des rodomontades et de la gloriole officielles. C’était peut-être de voir seule les flons flons qui lui tirait les larmes.


[1] D’ailleurs, elle n’avait plus de nouilles, comme à peu près personne.

Laisser un commentaire