Sur le retour

J’ai toujours senti une certaine angoisse dans les transports du rail, une de ces angoisses vagues et sourdes que l’on peine à définir. Il faut dire que, comme tout le monde, j’en ai vécu, des départs, en chagrin et en pagaille. Parfois, c’est de parcourir un long couloir, vide ou plein peu importe, c’est l’absence de fuite en voyant des perspectives immenses qui me fait frémir. Lire la suite

Par la radio

La voix de Madame D. s’estompait, après quelques grésillements – c’était la fin du communiqué de ce soir. Elle ne pouvait plus qu’attendre la prochaine émission : elle se raccrochait à cette voix qui venait de la nuit comme à un chant des plus désespérés. L. ne pouvait, dans sa cuisine, qu’avoir l’impression d’attendre, puisque c’était déjà un élan vers quelque chose, quand bien même il s’agirait d’un vide. Lire la suite

De l’abstrait comme s’il en pleuvait

De la musique avant toute chose, et surtout les lignes que les harmonies me dessinent – drôle de synesthésie, qui n’est pas celle des couleurs, mais faite de mouvements. L’imaginative échauffée et l’oreille en swing, ce sont des mouvements que je vois, de vagues et monumentales formes qui se déplacent, mais surtout, stade suivant deuxième piste du disque, des mouvements sentis, quelque part entre l’épaisseur des viscères et la finesse de la peau aux poils hérissés. Troisième piste, et c’est de l’intérieur, favorisée par le casque hermétique, le chant mal assumé – mais les portes sont fermées ! – que montent les lignes de la musique. Ce drôle de sentiment de transcendance, tout nerveux qui me projette hors de moi-même.

Il y a dans les moments de crescendo, quand ils se trouvent renforcés par un choral, un canon et l’explosion des instruments, si possible vibrants comme les cuivres, et la syncope qui retient le souffle, ménage une salutaire respiration.

Les voix dans ce ciel projeté ouvrent un nouvel infini: fantômes hurlant depuis les confins de l’univers, que les canons explosent, que les fugues dévastent. Il y a des feux d’artifices, purs mouvements éphémères dans ces turbulences sensibles, quelque chose de la saveur du cosmos.

Et c’est, d’une certaine manière, aux aléatoires hypnagogies des écrans de veille que ressemblent ces profondeurs agitées.

Au téléphone

Et ma grand-mère au téléphone, qui rit que je l’appelle. Oui, je mange bien, pas toujours d’appétit mais je me force, et toi ma grand-mère ? Elle rigole, c’est plus de mon âge ces choses-là.

La discussion roule entre deux baisers, bruyants pour briser les distances, on sait qu’on s’aime. Pourquoi c’est si dur, elle me demande ? Parce que c’est long, faire un livre sur quelqu’un d’autre, et qu’il faut du temps pour savoir, et pour savoir le faire. Mais tu gardes le moral ?

Pas toujours, ma grand-mère, parfois c’est difficile. Et nourrie de Beauvoir que je relis, en mesurant la distance d’avec mes quinze ans, je me retrouve à lui expliquer ce que ça fait, même et encore aujourd’hui d’être une femme qui fait des études, longues, souvent arides, pour m’arracher, non pas au milieu, mais à ce qu’on m’a enseigné de féminité, et de douceur, de modestie dans mon enfance, et de comment on attend que je le sois, tout en pratiquant l’inverse – c’est une violence contre soi, une thèse si longtemps, et une imposition au monde.

Et elle de me glisser: mais moi, je ne savais pas, tout ça…