Y en a.

Y en a des bien.

S. ne supportait plus d’entendre ses amies protester quand elle sortait de la blague misandre pour la vraie punchline – et les femmes qu’elle entendait se plaindre de leur compagnon, et dont elle écoutait les doléances, venaient toujours le défendre si elle abondait dans leur sens, si elle tirait les conclusions logiques de tout ce qu’elles voyaient, sans vouloir le dire.

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Conversations.

L. regardait encore dans le vide, et elle se rappela les conversations avec M., les rares moments où il prenait la parole en public, et comprit que la rareté en faisait le prix, et en provoquait l’attente. Elle se souvenait son agacement, à l’attendre pour l’entendre, trépignant dans les blancs qu’il faisait durer, même quand il aurait pu simplement lui signifier qu’il l’écoutait – à force de finir ses phrases dans un silence qui ressemblait à un jugement, elle finit par les laisser en suspens, et se taire. Elle ne parvenait plus qu’à babiller, dans un bavardage qui rythmait plutôt ses actions qu’il ne discutait, comme la voix off solitaire de sa vie. Elle avait pourtant essayé, en proposant de nouveaux sujets à leur conversation, en le relançant sur ce qui le préoccupait, quand il avait la mine soucieuse, ou quand elle voulait le sortir de son silence. Elle avait ainsi pu attendre, chaque jour, qu’ils se parlent davantage, qu’il lui réponde, et qu’il l’écoute.

En écoutant les vieilles chouettes depuis maintenant trois jours, elle était surprise de les entendre, de les entendre toutes, s’interrompant parfois par enthousiasme, mais se redonnant la parole, si l’une donnait subitement de la voix. L. les voyait aussi prendre le temps d’interroger celles qui ne disaient rien, et s’interpeler, parfois vivement, souvent dans des éclats de rire. Ce dont L. se souvenait maintenant de M., c’étaient des pauses qui étiraient quelques phrases, sentencieusement énoncées, avec le poids de l’attente des choses définitives.

Scène de rue.

Les hommes attablés au comptoir du bar PMU « Carpe diem » auraient pu voir, s’ils n’avaient pas été tournés vers l’intérieur du rade, à regarder la tireuse verser un verre. C’était tournée générale, et la radeuse tirait une pinte après l’autre, dans le brouhaha, n’ayant plus que rarement besoin d’esquiver une main pénible – elle n’esquivait plus depuis des années, et répondait poing pour main. S’ils avaient tourné la tête, ils auraient pu voir ce que l’on voyait maintenant rarement dans la rue : un groupe de copines, marchant dans la nuit enfin plus fraîche, sans hommes pour les accompagner, têtes nues et un peu bruyantes – mais le bruit du bar était plus fort, et les portes fermées pour garder encore un peu de la froidure de la climatisation, extorquée à grands frais et avec un bakchich adroitement placé. Ils ne virent pas plus l’homme qui les avait précédées – lui non plus, d’ailleurs, malgré l’incongruité de ce groupe de femmes en pleine rue, n’avait pas remarqué qu’elles empruntaient les mêmes rues que lui. Elles semblaient participer à un enterrement de vie de jeune fille – la mariée désignée portant sur ses cheveux un crêpe bouffon et une canette de bière. Ce petit carnaval se poussait du coude dans les rues, répondant aux quolibets des passants, annonçant une date – la semaine suivante – et en se poursuivant de temps à autre. Elles riaient de moins en moins, une fois quittées les rues du centre, et se fondaient d’elles-mêmes dans le silence des quartiers périphériques, hâtant à peine le pas pour ne pas le perdre. Quand il s’arrêta pour taper le digicode ouvrant la porte d’un immeuble, les deux plus en avant bondirent sans bruit, et posèrent chacune une main sur la porte qui venait de s’ouvrir, en l’encadrant comme deux caryatides retiennent un balcon. Il leva les yeux, surpris, et allait protester, alors que les femmes restées plus en arrière s’étaient approchées, et que l’une interrompit sa protestation d’une poussée dans son dos. La porte grande ouverte par les deux mains des deux femmes le laissa choir, et le groupe se faufila à sa suite dans le hall, avant de refermer la porte.

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Les volatiles.

L. se rappelait de l’époque d’avant M., quand elle avait cherché un partenaire. Il y avait longtemps que les terrasses étaient devenues un sport extrême ou réservées à la grande richesse, mais il lui était arrivé de rester, à l’instar d’amies qui l’avaient conseillé, au comptoir du rade de son quartier, sans jamais voir une conversation décoller. Elle revenait chez elle, un peu ivre, plus mélancolique que jamais.

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À la cendre.

C’était une autre journée chaude, mais ailleurs, comme si la vie se mettait en pause. Personne n’a arrêté la petite comtoise de Mamie, et ce n’était pas si mal d’oublier les rituels du passé, déjà pour regarder le balancier se balancer.

Il paraît qu’on est cendre et qu’on y retournera – on a aussi bougé la poussière accumulée de la maison, et bousculée et relancée comme on l’a été. Les yeux bien rouges, parce que la cendre parce que la poussière – maintenant, et depuis peu de temps, j’arrive à sentir ce que c’est que de dire que tu me manques.

Je pleure plus et je ne pleure plus, ça dépend des jours, des nuits et des lieux. Souvent, y a ta voix, comme si tu répondais au téléphone qui sonnait tout le temps, qui surgit quand je m’endors – et mon oreille me projette sur une drôle de route, à essayer d’encore rêver de toi.

Jamais je ne t’avais trouvé si beau que sur le lit de l’hôpital – reprendre le livre que je t’ai lu, cette nuit-là, n’est pas encore possible. Parfois, je me dis que pour ancrer la perte dans la vie, il faut peut-être une image, et souvent un corps ou une des fragments de métal, ou la tringle qui tient une perfusion. Moi, je te vois comme je ne t’ai vu qu’en photo, marcher vers la mer et te noyer dans l’horizon, avec la silhouette du lit blanc devant, et le gargouillis de la machine qui se confond avec les vagues.

Et je regarde de vieilles photos.