Comme à chaque fois, elle eut un genre de surprise, en soulevant son sac – si léger. Elle n’avait bien sûr pas les moyens d’acheter grand-chose, et elle chargeait ses poches tant que la discrétion le lui permettait, mais elle ne s’y faisait pas. C’était en fait tout l’inverse d’avant : on passait d’une époque de grande dilution à une sécheresse dans les moindres éléments. Il était rarissime qu’elle puisse offrir aux garçons des fruits ou des légumes ; parfois, elle leur ramenait des tomates cerises pour Noël ou un anniversaire, et elle les regardait manger, curieux et gourmands. Pour elle-même, elle avait renoncé.
C’étaient des sachets, des cartons, des boîtes de poudre qu’elle ramenait. L’eau était trop chère pour la laisser, telle quelle, dans des produits courants ; c’était à elle de la fournir, même quand elle pouvait passer à l’épicerie collective, et elle n’avait que des ersatz à reconstituer à ramener de ses courses. Ils parvenaient, à force de soins, à faire pousser quelques baies rares, et S. soupirait en songeant à l’humidité passée des caves, qui auraient permis, en d’autres temps, d’incroyables champignonnières. Dans les grands immeubles gérés en communauté, on trouvait souvent des extracteurs, dans les sous-sols, et des purificateurs, souvent installés dans les anciens vide-ordures – personne n’était assez riche pour jeter encore des ordures, que de toute façon personne n’aurait ramassées.
Elle ramenait toutes ses poudres, achetées en vrac et ramenées dans des sachets réutilisables. Elle devait faire attention : ça lui était déjà arrivé de tout mélanger, et c’était pas si ragoûtant, des pâtes bolognaise mélangées à de la crème anglaise.