Papa ici.

C’est bizarre, je me dis, comme je n’ai jamais vu

Papa ici

Et comme je l’attends,

Quand même mon père

en rentrant chez moi

Et que Papa est partout

Dans ce que je voulais lui montrer lui dire lui raconter

– Eh, Papa, quand même,

D’accord, un bordel des Bordeaux

Mais nous c’est la banlieue d’à côté

Et le bordel de toi parti

Et ton bazar laissé

Et tout à ranger

et ce qu’on perd on le retrouve

Parfois

Parfois même sans savoir

Qu’on l’avait perdu.

Quand même Papa, je te parle moins

Mais je te dis au revoir

Avec tout ce que je t’ai raconté

Avec le forfait illimité

Et le soir en mangeant

Et le câlin pas souvent

Mais tu apprenais à petits pas

de Papa

Qui voit qu’il faut s’y coller, au nouveau monde

Et le prendre dans ses bras

Comme tu m’as tenu les mains

Mes pieds sur tes petits pieds

pour marcher dans tes pas.

Eh Papa, elle était belle cette année,

où on n’a fait que bouffer, et j’ai quand même maigri

En même temps que toi,

Où je t’ai blagué en te disant qu’il te poussait un utérus,

Vu que t’avais des douleurs comme des règles

Puis de la douleur hors de ça, et que t’as rigolé la dernière fois que j’ai râlé

Tout doucement.

Moi je me sens bête de la douleur que j’ai pas complètement vue,

Des bras sur rien

Du bordel à ranger à Bordeaux

De la vie comme un demi-jour

Du vide-grenier sur la route des courses

– j’ai ramené que les courses, lourdes au bout des bras.

J’ai arrêté.

J’ai arrêté de parler à ton urne, et à ta photo,

Mais elle est encore sur la table de la cuisine,

Depuis que je suis venue apprivoiser la maison vide

Et pleine de toi.

Tout est cendre et retournera au cendrier,

Je sais qu’un jour j’arrêterai de fumer

Mais je crois qu’il y a un plus tard, et un pas maintenant,

Je ne vois pas ton fantôme, et je libère les amarres

de nos habitudes,

T’appeler en arrivant

Pour dire que je suis bien arrivée

Et avec le café, juste après le chocolat,

Comme presque tous les jours d’avant

Et parler tard le soir,

Depuis et jusqu’à il y a peu.

Quand je pleure, je pleure,

Et pas toujours quand je pense à toi,

À ta douleur, qui a eu un sens,

Et que j’ai tant de peine à encore accepter,

À ton départ, un midi il y a dix et un jours

Et après la nuit où je t’ai, peut-être, un tout petit peu rassuré,

et lu du Flaubert, alors que tu ne saurais pas ce qu’allait devenir Frédéric Moreau

Et que c’est toi qui partais.

Il me reste à vivre le chagrin et la chance de t’avoir connu,

Et les autres joies que je préparais, et celles qui arriveront

Et que j’essaierai de regarder droit en face

Comme on a combattu, ensemble, ton naufrage.

Pour un bon gros flemminisme

Prendre soin de soi est visiblement le nouveau mantra, réactivé depuis les publicités pour cosmétiques par les dérives d’un certain féminisme du lâcher prise et du temps pour soi. De ces écoféminismes spiritualistes, option stage de reconnexion (avec soi; c’est du boulot qu’on déconnecte, faudrait voir à pas confondre) en forêt, aux mantras de Psychologies magazine, c’est un même discours que l’on nous sert et que l’on ingurgite ad nauseam: il est bon, il est important de prendre soin de soi, en prenant du temps pour soi – c’est d’ailleurs, après les mandalas et coloriages pour adultes, le meilleur moyen de revenir… plus performante.

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Les gestes.

C’est de tout cela que tout est fait

Les poires épluchées cet hiver, les abricots en morceaux qui arrivent

Sur la petite assiette avec les fleurs sur les bords

Le chocolat que je vois fondre dans la casserole

L’eau que je fais couler jusqu’à ce qu’elle soit chaude

avant que tu puisses glisser tes mains sans douleur

Le repas prêt quand tu arrives

Toutes les petits plats pour que tu picores

La main droite qui passe les vitesses

Pour la pharmacie ou la clinique

La porte refermée quand entre l’infirmière

Ma main qui passe sur tes omoplates

et frotte au milieu du dos

Pour une petite chaleur à peine atténuante.