Entre elles.

Ça partait parfois fort. Des portes claquaient, on déménageait en pleine nuit, d’autres fois c’étaient des éclats de fenêtre. C’était la débrouille à bouts de chandelle et à tirer sur la corde tant que possible – fallait tenir, en attendant la suite, sans savoir ce qui viendrait, ni même si ça serait mieux. Elle tenait sur un souffle, elles manquaient d’air, la chaleur leur cognait le crâne, et les dehors semblaient plus hostiles, même quand il ne s’agissait que de torpeur. Alors, sans trop de surprise, elles s’engueulaient, pour un rien, pour s’entendre, par effroi et parce qu’elles vivaient une vie insupportable, en trimballant encore les casseroles de leurs vies d’avant. Elles s’organisaient mieux ensemble, mais elles manquaient d’espace, de perspective, même de vacances ou de quoi goûter, un petit peu, juste le goût de l’ailleurs.

Certaines se barraient. Un temps, plus longtemps, pour toujours. Ça restait toujours un peu crade, de travailler tant pour presque rien, et dur la promiscuité et les gamines qui racontaient des vies qu’elles auraient préféré oublier. Iris parfois ne disait plus rien, et prenait parfois le temps de pleurer, en silence, avant de s’endormir. C’était pas qu’elle aurait pas voulu tout péter: mais les mômes, et Joséphine, fallait qu’elle s’en occupe.

Par une nuit d’hiver.

C’était une belle nuit d’hiver, chaude sans être étouffante. Iris était heureuse de pédaler dans des rues vides. Les sols étaient défoncés, mais ses pneus étaient assez larges pour qu’elle aborde dans la quiétude du tout terrain. C’était encore un autre bonheur de ne pas avoir à les refroidir – elles n’avaient plus de gélifiant, et Iris n’avait pas pu en voler – trop suivie pour la chourre, c’était l’inconvénient de sa nouvelle coupe.

Elle avait oublié jusqu’à Joséphine. Elle pédalait juste dans la nuit, pour se sentir avancer à chaque coup, avec roue libre dans les descentes. Une chanson la surprit en se nichant sur ses lèvres. Il ne manquait que les oiseaux.

Des chambres.

Les vieilles et les mômes au frais, ça tranquillisait déjà pas mal les filles, et Iris dans le lot. Depuis qu’elle avait pris Joséphine sous son aile, elle découvrait ce souci nouveau de s’inquiéter pour une autre, qu’elle ne pouvait pourtant pas enfermer, ni suivre toute la journée. Elle prêtait maintenant davantage à l’oreille à ces histoires de momies retrouvées, haut sous les toits, carbonisées sous les velux, plus souvent séchées comme on avait pu fumer des saumons, recroquevillées dans un coin ou étendues, tombées d’un coup de chaleur et jamais relevées.

Elle avait elle-même vécu dans une de ces chambres, abandonnée dans un couloir lui aussi déserté. Ce calme hivernal s’était révélé un four, dont elle s’était extraite, un matin, suffocante.

Iris avait craint un sort semblable pour Joséphine ou les mômes : elle avait fait condamner les combles, devenus des séchoirs pour une partie. Des rumeurs leur parvenaient de la ville et jusque dans les affpops qui envahissaient en permanence leurs écrans : on découvrait toujours plus de ces corps, des vieilles et des vieux, des délaissées de tous les bouts du monde, des damnées de la crise et les forçats des canicules. On en trouvait aussi, c’était nouveau, des plus surprenants : enfermés dans des piaules sans clefs, d’autres encore à poil et attachés.

Iris eut un sourire en reconnaissant un jour le nom de son géniteur – elle ne l’avait pas vu depuis si longtemps.

Iris et les clims.

Pas de questions à se poser, c’était qu’il y avait du boulot à la place. Elles n’avaient pas de quoi équiper toute l’impasse, et elles n’auraient pas pu prendre le risque d’une telle provocation, alors qu’elles se préparaient déjà à défendre leur trésor d’eau et de froid contre les flics et les bandits – on ne les distinguait pas toujours. Elles avaient réussi à se créer ce qu’elles appelaient leur chambre froide, dans le sous-sol : une pièce si fraîche qu’elles y gardaient les reliefs de repas et les mômes quand elles étaient trop excitées, et elles y mettaient aussi les grand-mères les jours de canicule, comme une garderie de bouffe et de gens. Ça restait cher de gaspiller ce frais en y allant au moindre coup de chaud : elles le gardaient pour les jours les plus durs.

Avec leurs cuves sur le toit, elles avaient un genre de pactole, au centre de leur monde. Elles savaient qu’elles commençaient à faire jaser, et avaient commencé à organiser des tours de garde. C’était aussi une solidarité qui s’inventait, dans ce squat que les femmes autour connaissaient toutes maintenant. Ce n’était pas la maison des femmes, dont le bruit commençait à leur venir, juste une organisation qui se lançait, dans l’impasse et autour, dans un coin de la ville.

L’odeur qui te rentre

Et toi pauvre folle pauvre fille qui jamais voudrait toujours pue comme les aigles et les vautours, tu sens les charognards tu vois l’odeur qui te rentre dedans les miasmes qui t’entourent la ranceur le roussi la rage du puant qui vient te colle devient toi l’acide du sperme qui coule tes jambes toi qui coules avec en mal en collant tu t’enlises et tu peux pas retenir ni échapper ça t’enfonce c’est maintenant ton odeur ça part pas pas pas même sous l’eau les bains tu roules dans des charognes veut toi devenir charogne plutôt qu’enspermée l’odeur te remonte elle te plie te coupe elle veut sortir de toi et tu l’as dans le nez tu la retrouves partout en toi c’est toi la puanteur tu pars plus tu pues