Et encore.

Et le passage de l’épilateur, bien moins fréquent, toujours l’ambivalence au ventre – pour qui je le faisais, une question qui n’avait plus de réponse. Le ménage dans la chambre, le travail accéléré pour voler du temps pourtant toujours incompressible, le bras toujours plus douloureux, quand les jours s’alourdissent.

Quelque chose sourd qui lui rampe dans le ventre, elle qui n’arrive plus à se nommer, l’empressement et toujours plus de choses à faire – l’épilateur maintenant dans le placard, sourire en passant la crème – ce n’est que dans vingt minutes qu’elle verra les poils oubliés, invisibles lors de sa pourtant scrupuleuse inspection.

Le frigo plein et pourtant une liste de courses déjà urgente, avec la peur d’une imperfection, de décevoir, d’incarner l’insuffisance humaine, le cœur lourd l’angoisse au ventre – et merde, j’ai mes règles.

Du boulot par dessus la tête et le cœur, une semaine au moins planifiée dans la culpabilité pour te retrouver, tes bras et l’oubli, je ne survis dans que dans cette attente, d’un mot d’un souffle de toi venu

le silence à la place

la douleur qui monte dans mes côtes le frisson dans mes bras les yeux brûlés

– encore le coup du lapin.

13 novembre.

Il ne m’a jamais été tellement possible de ne penser au 13 novembre que comme une journée, réduite à sa nuit la nuit la plus noire – c’est trois jours, au moins, qu’il lui a fallu. Il faut dire que l’année l’avait bien préparé, ce vendredi 13 à manger du chocolat – le film que je voyais, je l’ai oublié, mais il y a eu une cigarette fumée à genoux à la fenêtre, terrorisée par les annonces de fusillades dont bruissaient les réseaux sociaux. Le 13 novembre, ça a signé pour pas mal de gens de Paris la découverte du bouton Safety Check de Facebook – et on a attendu quelques longues confirmations – le souvenir de janvier, avec la peur qui s’en était pas allée, la pensée que, quatre jours avant, j’étais mal assise dans cette même salle, toute coincée derrière la sono près de l’entrée, la grande Nina en cadeau pour moi-même – les Eagles, il aurait voulu les voir, ça s’est joué à un billet de train trop cher.

Ça a duré trois jours de terreur et d’angoisse, BFM en quasi continu pour essayer de savoir, de comprendre – trois jours à chercher les noms de mes étudiants sur les listings qui s’allongeaient – je pensais aux musiciens que j’avais enseignés l’année d’avant. Trois jours où, un mail, deux fois, a annoncé la mort d’un collègue – à peine croisé, de très loin, mais dont le proche reste douloureux. Dont l’un était le nom que cherchait, depuis 24h, mon beau-frère – avec la fiancée aux urgences, il a dû le lui dire. La peine, chaque année renouvelée, de ce jeune docteur parti à Paris juste après la cérémonie de remise des diplômes, et qu’on pleure tous les ans depuis. La copine, revue parce que ça, qui, un billet en poche, était en retard et n’a pas pu sortir du bar tout proche de la salle. Trois jours où il a fallu ensuite revenir en cours, et parler de ce qu’on ne pouvait pas dire, pas encore, et je n’y arrive toujours pas. Le colloque, le premier que j’organisais, qu’on a maintenu sur pieds, et pour lequel on m’a reproché, en ayant tout oublié, de ne pas avoir posé assez de questions.

La tristesse, ensuite, des années après, en racontant les attentats à ceux de Bordeaux, de voir qu’ils n’avaient pas de souvenirs si notables – ce moment où j’ai compris que je commençais à être, un peu, de Paris moi aussi.

Le 13 novembre dure longtemps.