Avant Christine

J’ai découvert l’illusion du pouvoir féminin ; j’ai longtemps cru que c’était le choix qui marquait ma libération. J’ai alors choisi, du moins le croyais-je, d’endosser les attributs de la féminité, beauté plastique et iconique : j’ai voulu me retrouver dans les grandes affiches du cinéma en noir et blanc, femme fatale de films noirs. Le glacé des vieux magazines m’a happée : je me rêvais Bacall, je m’espérais Garbo, je ne sortais sans chapeau, bijoux et talons hauts. J’ai cru que gainer mon corps me donnait du pouvoir, un pouvoir que je lisais dans les yeux des hommes attirés par le galbe d’une jupe trop étroite. Les seuls petits pas permis par une jupe entravante m’aidaient à garder une tenue que je pensais irréprochable, quand je ne me permettais pas de sortir peau nue ou en cheveux. J’étais heureuse de me voir favorablement reflétée dans le regard d’hommes — et parfois de femmes, jusqu’à la reine du queer croisée sur un campus, regard des regards. Être désirée me prouvait à moi-même ma propre existence, et me donnait une valeur relative — corrélée aux compliments que je croyais reconnaître dans quelques marques d’attention empressées. Il ne m’a pas fallu longtemps pour voir que cette échelle du désir croissait quand, feignant la bêtise, je me laissais expliquer des banalités. Accroissement illusoire de mon ignorance, et amaigrissement généralisé : je me jouais de l’appétit, et vivais toujours plus éthérée. J’ai cru qu’en connaissant la cambrure parfaite de mes reins, celle qui augmentait le désir d’un autre, mais me torturait les vertèbres, je saurais l’emporter sur moi-même ; je croyais qu’en devenant un fantasme, je trouverais le support de mon être. Il me semblait atteindre dans l’absolue maîtrise de moi-même l’ultime dépassement.

Évidemment, je me trompais. Lire la suite