2030

Dans le métro qui poursuivait sa route, le sac sur ses genoux – encore un homme à côté d’elle qui ne savait pas tenir les siens. Les panneaux indiquaient pourtant depuis dix ans qu’il fallait laisser un siège sur deux libre, et appliquer les gestes de distanciation sociale – mais les stickers, rapidement arrachés devant l’affluence, étaient aussi oubliés que l’idée même de confort dans les transports en commun.

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J’ai été violée et je vais bien.

Je ne veux pas être Lucrèce. Je veux à peine être Lavinia, un bâton dans la bouche de son corps-tronc, écrivant dans le sable le nom de ses violeurs.

Je pleure Philomèle et sa gorge tranchée, je regarde sous mes doigts les dessins d’Arachné, et je sais combien les femmes ont dit et ont pleuré.

Je ne veux pas être la bouche d’ombre, je ne suis pas toujours la vérité qui sortira du puits pour briser le silence. Je ne veux plus être Madame Viol, celle qui explique à ses copines ce que veut dire le non qu’on n’écoute pas, et qui entend leur voix trembler.

Il y a des jours où on n’y pense pas, où on parvient à ne plus le sentir – et le goût de merde parfois revient dans le fond de la gorge, avec des sanglots que l’on croyait enfouis.

Et parfois, la tendresse qui monte aux lèvres.

Les gentilles filles.

Je me rappelle de ce jour quand, dans la cuisine de ses parents, ma correspondante allemande, qui avait ramené une bonne note du lycée, a pu dire à son père, grande gigue moustachue, que oui, elle était bien première de sa classe – et lui de tapoter le haut de sa tête en la félicitant, et elle de me regarder, gênée.

Gentille fille qu’elle était, et sa gêne, je ne l’ai comprise que bien plus tard, quand viennent les grandes colères et les espoirs déçus. Moi aussi, j’étais une gentille fille à son papa, terrorisée par la désobéissance – ou par le châtiment – et si bonne fille que la semaine d’après, ce serait un de ces mardis qu’on n’oublie pas, parce qu’il faut dix ans pour le crier. Lire la suite

Elle.

Elle n’avait pas toujours été là, et elle m’est tombée dessus – peut-être une nuit. On m’en avait fait un horizon, comme s’il était indépassable. Elle est entrée dans ma vie en apparences, les regards et les petites phrases, et je l’ai cherchée, puisque je la pensais seule chose à trouver.

Elle avait cela de mortifère qu’il fallait l’atteindre sans en avoir l’air, en en cachant les efforts et les déceptions – et je ne voyais pas encore qu’elle justifiait ce que je devenais entre d’autres mains.

Elle reste toujours relative, comme si elle me définissait – et que sa brutale disparition me renverrait au néant d’où je n’aurais peut-être jamais dû sortir.

Il paraît qu’elle n’existe que dans l’œil de celui qui regarde. Ce que j’ai maintenant compris, c’est comment elle fait que je vive ou que je meure, et de cette existence en pointillés me reste juste un espoir relatif – point de fuite.