Le rêveur

Un cercle était formé autour de lui, d’abord silencieux, puis une vibration se répandit dans l’assistance, de plus en plus fébrile, presqu’ondulante, au rythme des ondulations de lumière devenues mouvement des corps. Un cri se fit entendre, un peu étouffé, mais prélude à une excitation plus générale. Autour des têtes réunies s’entr’apercevait, pour les spectateurs les plus lointains, le haut d’une sphère aplatie, luminescente, parcourue d’ors rosés. Les premiers rangs, tout proches, touchaient presque ses parois, et distinguaient au travers tout une pastorale, petits villages et ruisseaux, arbustes dans de minuscules forêts, chemins reliant le tout. Sur une des places, les plus attentifs devinaient une ronde, et sans la foule coalescente le lointain d’une musique aurait pu se faire entendre: quelques instruments se devinaient, entraînant la petite assistance. Lire la suite

Laisse rouler les filles

C’est peut-être l’apparition de la musique de fin qui fournirait une des portes d’entrée – ou de sortie – de Death proof, ou Boulevard de la mort (2007). Après les multiples carambolages qui signent l’inscription dans le genre du film de courses-poursuites, et le tabassage de Stuntman Mike, le chauffeur psychopathe carambolant les jeunes filles qu’il croise sur la route, c’est une musique enjouée qui se lance: une reprise, en plus punchy, du vieux tube de France Gall, « Laisse tomber les filles ».

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Dans le couloir

Il ouvrit la porte, qui n’émit que le bruit des gonds mal huilés, qu’il peinait à reconnaître. Le couloir s’étendait devant lui, perpendiculairement, de forme parallélépipédique, avec des angles qu’il percevait comme droits, mais que le globe de son œil percevait, lui, légèrement déformés, et que son cerveau, un modèle d’origine, qui n’avait été que très occasionnellement modifié par différentes et ponctuelles ingestions de psychostimulants et de neuro-accélérateurs somme toute très classiques, et qui, en cet instant précis, lui rappelait, sans mise au premier plan des tâches en cours de gestion, cette information vitale, mais quotidienne: la déformation des angles n’était qu’un effet d’optique lié à la rondeur de son globe oculaire, l’éloignement des dits angles et l’assimilation de ces informations par un procédé non explicitement théoriquement formulé, mais empiriquement validé par la réitération de cette expérience de sortie dans le couloir confirmée par d’autres lieux, distincts, mais dont les propriétés géométriques étaient semblables et donc comparables. Lire la suite

Pour la galerie.

Je sentais la femme à ma droite et celle, devant moi, qui toutes retenaient leur souffle – on ne perturbe pas une lecture dans une galerie, mouchoir de poche étalé dans la rue, tout le monde un verre à la main, nous étions les vaillantes qui donnions le change. Je me concentrais sur la lecture, en anglais misère, mais ça allait, et je me laissais aller au rythme de la prose – les accentuations, ça nous remue, les Frenchies. Lire la suite

Et je l’ai giflée.

Il n’y a pas de sensation de puissance – il n’y a que le pouvoir, réel, celui qui permet de faire plutôt que de ne pas faire, et l’empowerment est la pire des illusions. Pas de pouvoir dans l’indirect des alcôves – s’il faut se lover dans le rose bonbon, c’est qu’il n’y pas de pouvoir: le pouvoir ne se conditionne pas. Se flanquer de deux échasses pour sentir, dans la tension de la jambe et de la voûte plantaire, l’illusion d’un pouvoir, c’est confondre le choix d’une contrainte dépassable et la puissance: c’est aimer se mettre des bâtons dans les roues pour le plaisir de ne s’élancer que le galbe du mollet. Lire la suite