L’ogre.

Toutes les fibres de ses muscles se tendaient, dans une attente dont elle ne voyait pas d’issue possible.

Il devait s’être faufilé quelque part par un vasistas dans un haut, ou c’étaient les filles de l’entrée qui étaient trop bourrées pour faire attention. Un bruit l’avait trahi, à peine perceptible, ou juste une intuition qui l’avait tenue en éveil, peut-être même Joséphine qui l’avait alertée – elle avait le sommeil léger.

D’un bond elle s’était levée. Elle avait saisi la boîte sous le lit et couru, avec juste un short à la taille, le dos ondoyant et tempêtant, alors qu’elle poussait le couvercle et assemblait les morceaux, des gros mots plein la bouche.

Maintenant, elle l’avait sous les yeux, mi-goguenard mi-craintif – dans le viseur. Elle avait vu juste ; restait à savoir ce qu’elle ferait.

Le gonze tentait de parlementer. Il espérait négocier, comme si c’était le lieu, le moment, comme si sa présence dans ces murs n’était pas déjà sa pire erreur, l’annonce du qui-vive qu’elle gardait dans la peau, et le tour inattendu de la soirée lui montrait que ce n’était pas plus mal.

Elle entendait les files de l’avant qui se ramenaient : elle avait tant gueulé que quelques-unes se réveillaient et rappliquaient voir ce qui se passait.

Iris commença à lâcher des coups et des questions, pour trouver l’erreur à ne pas reproduire. La réponse, elle la trouva dans la gêne d’Anna, c’était toujours ça d’assuré.

Il avait trouvé le dortoir des gamines, qui s’étaient réveillées en hurlant – Iris était déjà devant la porte, qu’elle avait grand ouvert de l’épaule, et maintenant le gars était là, à ses pieds, et les gamines piaillaient autour en se cachant sous les draps.

Anna et Nour se précipitèrent et ramenèrent le gars dans le couloir, Iris lui ôtant toute envie de rébellion. Elles dirent aux gamines de rester calmes, et qu’elles reviendraient, que tout était fini[1]. Les trois montèrent, et furent suivies de quelques autres. Elles le découpèrent sans un bruit ni une balle, au-dessus des rigoles de récupération, et se nourrirent avec les petites dans les semaines qui suivirent de l’horreur du croquemitaine et de l’ogre, transformé en croque-monsieur.


[1] C’était une des grandes tâches quand on récupérait les filles des rues : réussir à leur donner suffisamment de garanties pour apaiser les duretés et les peurs. Il n’y avait ni échec ni réussite : il fallait seulement vivre, en essayant d’être ensemble.

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