La graille.

Elles s’agaçaient de tant les entendre. Les vieilles n’arrêtaient pas, ni les vieilles chouettes dans la maison des femmes, ni surtout les grand-mères restées en ville. Elles ne parlaient que de bouffe, de la graille de manger, de la nourriture d’avant. Elles s’échangeaient des recettes au dos de cartons qu’elles récupéraient, en découpant ce qui leur passait sous la main, en récitant de longues listes d’ingrédients, pour se raconter des repas gargantuesques, le rôti du dimanche ou le petit steak des déjeuners, les boulettes dans les pâtes et le saumon à la plancha.

Les gamines ne comprenaient pas de quoi elles parlaient, et demandaient elles aussi de la viande, sans savoir que la chose était, sinon impossible, du moins douteuse. Iris, L., toutes différemment réagissaient, chacune depuis là où elle était : l’idée même de la barbaque ingérée, des années durant, sans trop en rien dire les laissait coites et révulsées. Elles parlaient aussi bouffe, pourtant, de l’eau qui manquait aux sauces et des cuissons à inventer, des poudres inconnues qu’il fallait diluer pour en reconnaître le contenu, les boîtes de conserves qui s’échangeaient encore à prix d’or, de ce qui poussait et de ce qu’elles pouvaient accommoder dans un monde de restes, et qui pourtant manquait du superflu.

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