Toi aussi, écris comme un révolutionnaire du dimanche soir.

La rhétorique appelliste, du nom de ceux (de celles ?) qui suivent l’appel du Comité invisible, innerve le champ médiatique de gauche – celle à gauche de la FI. Toi aussi, tu veux écrire comme ces révolutionnaires ? La recette est simple; le résultat désastreux. Comment reconnaît-on un texte appelliste ? C’est que, justement, il s’agit d’un texte qui appelle – et qui n’hésitera donc pas à recourir à tous les procédés de l’emphase la plus mystique. L’appel suit ainsi une rhétorique convenue: il doit appeler à fonder une communauté ou à la renforcer: il s’agit de s’adresser et de jouer de connivence. L’interpellation directe, voire l’invective pour les ennemi·es forcément commun·es; l’adresse pour les « amis », lien pourtant rarement inclusif – le comité invisible n’a pas l’air d’un club de meufs. Ces interpellations directes se prolongent par d’autres, vaguement plus subtiles: ainsi de ces marques de connivence, courantes et sympathiques chez Stendhal, mystifiantes chez les appellistes. C’est que la connivence, fondée notamment sur des références communes, passe par l’allusion culturelle, souvent élitiste, et mâtinée de pop-culture, histoire de rappeler qu’on est du côté des prolos – mais la palme va au prolo de la culture élitiste, Gavroche pour répondre au Jean Valjean de Lindon pour un de leurs derniers. Il s’agit alors, le plus souvent, de reprendre les références de l’adversaire pour les retourner – ainsi, tout un chacun pourra vérifier que l’appelliste qui tient la plume partage bien les références de l’élite et sait les subvertir pour dénoncer l’illégitimité, culturelle avant d’être politique, de cette dite élite. Le combat est d’abord un combat de légitimité culturelle – et peut-être s’y réduit-il.

Si la référence culturelle est un point essentiel du style appelliste, c’est par la référence philosophique qu’on le reconnaît le mieux. Quelques auteurs, rarement des autrices, reviennent de texte en texte: Agamben, parfois Foucault, un peu Latour, souvent Damasio, pourtant lecteur de Deleuze plus que philosophe ou romancier, Éric Hazan. Quelques auteurs de philosophie plus classique surgissent çà et là, souvent tout aussi allusivement – c’est encore de légitimité culturelle qu’il s’agit, et des références de son propre camp. Les propos, rarement référencés précisément, se retrouvent ainsi insérés dans un discours plus large: restituer une philosophie, proche d’un bon sens de ceux qui savent, en opposition à ceux (et celles) qu’il faut éclairer et assommer.

L’assommage participe bien de la rhétorique appelliste: le rythme d’un texte d’appello martèle, avec de fréquents effets de montée et de chute – les protases d’un paragraphe avec la chute, en apodose, pour les moins téméraires, à l’échelle d’un texte pour les plus audacieux. Cette emphase, qui doit tenir son lecteur, s’agrémente d’énumérations qui pilonnent le texte, probablement pour faciliter une adhésion du lecteur, pris par cette envolée protatique. La division du monde en deux camps, le premier pouvant aller de l’extrême-droite aux allié·es les plus proches (toujours les plus dangereux), et les « amis », autrement dit lecteurs de connivence, passe par les italiques, insistance nécessaire pour des demeuré·es à peine susceptibles de déchiffrer, et nouvelle complicité – encore Stendhal, mais de loin. La reprise assénante, anaphore ou autre anadiplose, est une option pour les plus courageux, et les plus lyriques.

C’est qu’il s’agit bien de lyrisme; il n’est donc pas étonnant de voir revenir, de texte en texte, un ensemble d’images, placées quelque part à mi-chemin entre l’Apocalypse et la météorologie. Le vent se lève; la rivière sort de son lit; les volcans entrent en éruption: autant de métaphores topiques, climatiques, naturalisantes, signifiant tour à tour la fin-du-monde-si-proche, et l’insurrection, invoquée comme le faisaient quelques prêtresses de religions à mystères. Le rythme, déjà mentionné, des textes appellistes, est mimétique de ces phénomènes atmosphériques, réduisant ce qu’est un mouvement politique, rassemblement d’individus autonomes, responsables et conscients de leurs actes, à l’expression d’une nature subsumante et, surtout, complètement déresponsabilisante.

Et c’est bien dans ses conséquences et ses présupposés que le style appelliste me semble une si tragique impasse: la naturalisation des phénomènes sociaux, vieille lanterne du XIXe siècle, revient sous couvert de lyrisme et de révolution, tout en en sapant la possibilité même. L’obscurité et le lyrisme visent au fanatisme et à une adhésion sans faille, et ferment la porte à toute réflexion réellement collective, pour laquelle il faut un style clair, et une prose accessible.

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Effet supposé d’un texte d’appelliste sur ses lecteurs, fantasme de l’auteur

 

5 réflexions sur “Toi aussi, écris comme un révolutionnaire du dimanche soir.

  1. louisa

    bon j’ai beaucoup mieux compris le texte de lundi matin cité dans l’article que le tien…. politiquement plus clair et moins pétri de fantasmes et de mystification que le tien… en bref, un style plus clair et une prose plus accessible 😉

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    1. Et oui, comme toute chose qui peut aller à l’encontre d’un courant dans lequel on baigne sans le voir – et parce que la déconstruction, c’est un poil plus dur que le virilisme mainstream 😉

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  2. louisa

    « les protases d’un paragraphe avec la chute, en apodose, pour les moins téméraires, à l’échelle d’un texte pour les plus audacieux. Cette emphase, qui doit tenir son lecteur, s’agrémente d’énumérations qui pilonnent le texte, probablement pour faciliter une adhésion du lecteur, pris par cette envolée protatique » « La reprise assénante, anaphore ou autre anadiplose, est une option pour les plus courageux, et les plus lyriques » C’est beau de connaître autant de figures de style, j’aurais aimé pouvoir en caser autant dans une seule de mes disserts, mais sérieusement, c’est le même genre de texte que tu qualifies ensuite de « virilisme mainstream » ? t’as pas l’impression qu’il y a quelque chose qui cloche ? Je crois que tu arriveras à défendre virilisme mais…. mainstream ?

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  3. louisa

    et tu oses invoquer un style plus clair et une prose plus accessible alors que ton propre style est pétri par le langage universitaire et qu’un bac + 5 est nécessaire pour te comprendre – convient-en ! ceci dit, tu écris très bien 🙂 mais juste je trouve ça un peu glonflé d’écrire de cette manière un texte reprochant à certains leur style élitiste…….

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