D’une aurore.

L. ne cessait de se souvenir, se remémorant comme d’autres boivent, disséquant dans la tristesse, faisant remonter des rages insoupçonnées. Elle plongeait dans ses souvenirs, dans ce qu’il lui restait de M., et qui lui déplaisait chaque jour davantage; dans d’autres garçons, de leurs mots plus que de leurs prénoms.

Depuis qu’elle avait rejoint les vieilles chouettes, elle pensait ses plaies, les ouvrant pour mieux les sentir, en cherchant à en suivre les bifurcations. L. tentait de comprendre comment les choses avaient mal tourné, ayant perdu le sentimentalisme dont elle avait, à chaque fois et patiemment, enrobé chacune de ses histoires d’amour. Elle avait saisi ce qui en elle s’entraînait, la conformant à l’amour, la reprenant à chaque écartade, à chaque tressautement de son intelligence, dont elle avait étouffé les alertes. Elle glanait maintenant les incongruités, les incompréhensions: elle écoutait, dans le creux de son oreille, les alarmes qu’elle avait enfouies dans le silence.

L. commençait à saisir. Une nouvelle histoire se saisissait sous la romance, plus grinçante. Elle frémissait, peureuse, craignant une colère qu’elle savait aussi surdimensionnée qu’injuste – et que c’était de cette injustice qu’elle tirait sa force. Si lui avait pu l’enfermer, l’étouffant comme la grenouille dans l’eau progressivement bouillonnante d’une casserole, elle savait qu’elle ne serait plus jamais capable d’en croire aucun, et que tous lui rappelleraient celui-là – que toujours elle se demanderait quel enfer se cachait sous la surface au grain de peau impeccable et au sourire ravageur.

L. ne croyait pas aux monstres: elle savait que M. n’était qu’un type comme d’autres, réagissant aussi conformément que les statistiques les plus banales. Elle était, comme d’autres, partie; il était, comme d’autres, impuissant face à ce départ – et il la retenait par sa haine. Elle savait qu’il ne l’aimait plus depuis longtemps, et peut-être ne l’avait-il jamais aimée, et en tout cas, jamais comme elle l’aurait voulu; elle commençait à se dire qu’il était peut-être incapable de l’amour qu’il lui avait pourtant promis. Elle savait maintenant ce que jamais il n’aurait accepté d’entendre, et dont elle avait déjà parlé, quelquefois, avec les copines qu’elle avait encore – que jamais elle ne pourrait même envisager d’aimer à nouveau un garçon.

De l’autre bout du couloir lui parvenaient des rires étouffés. L. sentit la nuit sombre, très doucement, s’éclaircir d’une aurore très douce.

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